En 1999, le long de la côte orientale de l’île de Cuba, j’ai découvert le village de La Bruja. Coincé entre mer et montagne, aux pieds de la Sierra Maestra, il tient son nom, en français: la sorcière, et sa réputation, d’une légende célèbre dans la région. Des siècles d’isolement et de vie austère ont profondément marqué la culture de ses habitants.
À la Bruja, la plupart des gens n’ont aucune photo, ni d’eux-mêmes, ni de leurs ancêtres. Les habitants m’acceptèrent peu à peu car j’avais quelque chose de précieux à échanger : de la présence et du temps de pose contre des images de soi. À chaque voyage, je leur offrais les tirages des photos que j’avais faites lors de mon précédent séjour.
En 2001, les autorités cubaines refusèrent de renouveler mon visa. Je quittais l’île et perdis le contact avec les habitants du village. Après vingt-trois ans d’absence, je suis retourné à La Bruja.
Peu de choses ont changé. Le village est resté un bout du monde, isolé et replié sur lui-même. Ses habitants m’accueillirent comme si j’étais parti la veille. Je me suis installé dans la même maison, j’ai repris mes habitudes. Je suis redevenu le photographe du village.
« (…) La photo est prise ici, dans un coin perdu de Cuba, mais elle pourrait venir d’ailleurs, d’Afrique ou d’Océanie, comme les deux cousines, Lurdes et Reina, sous l’arbre en fleurs. Elle nous montre l’homme nu et le noue autour de la lumière puissante qu’il porte. Des habitants de La Bruja, elle fait des archétypes d’un temps qui passe et ne passe pas, de ce lointain intérieur dont parlait Henri Michaux. Elle révèle la terre qui tanne les chairs et creuse les regards. (…) »
Philippe Lançon, extrait de La Bruja, fixes Tropiques, 2001
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