Le village de la Bruja est situé aux pieds des montagnes de la Sierra Maestra, le long de la côte orientale de l’île de Cuba. Il tient son nom (en français : la sorcière), et sa réputation, d’une légende célèbre dans la région de l’Oriente. Dans les sommets, les habitants récoltent le café, la malanga, et d’autres tubercules tropicaux. Des siècles d’isolement et de vie austère ont profondément marqué leur culture. Entre 1998 et 2001, Alexis Cordesse s’est rendu régulièrement à la Bruja pour y travailler comme photographe de village. Les habitants de ce bout du monde sublime et fragile l’acceptèrent peu à peu car il avait quelque chose de précieux à échanger : des images contre leur présence.
« (…) La photo est prise ici, dans un coin perdu de Cuba, mais elle pourrait venir d’ailleurs, d’Afrique ou d’Océanie, comme les deux cousines, Lurdes et Reina, sous l’arbre en fleurs. Elle nous montre l’homme nu et le noue autour de la lumière puissante qu’il porte. Des habitants de La Bruja, elle fait des archétypes d’un temps qui passe et ne passe pas, de ce lointain intérieur dont parlait Henri Michaux. Elle révèle la terre qui tanne les chairs et creuse les regards. C’est le contraire d’une photo exemplaire, d’une photo d’actualité, d’une photo qui passe. Les habitants de la Bruja n’ont pas l’honneur douteux d’être actuels ni repassés par l’omniprésence et l’indiscrétion blasée du regard des autres: ils sont simplement là.(…) »
Philippe Lançon, extrait de La Bruja, fixes Tropiques, 2001