Il s’appelle Ahmed. Il me dit que, dès la première manifestation, il s’est entièrement consacré à la révolution, qu’il était de tous les défilés jusqu’à ce qu’un sniper lui tire dessus, que la balle rentre par la bouche et vienne terminer sa course contre sa colonne vertébrale. Il me dit que c’est sa mère qui lui a sauvé la vie, en réussissant à convaincre le chirurgien qui soignait dans la clandestinité de l’opérer. Il me parle de son arrestation, de la prison, de l’isolement, sans nouvelles de sa famille pendant plus d’un an, de son procès, de sa condamnation puis de sa libération, de la clandestinité à nouveau, de sa fuite hors du pays.
Il est originaire d’une ville assiégée pendant plus de quatre ans par l’armée du régime. L’immeuble dans lequel il vivait avec sa famille a été touché par un bombardement. Comme la plupart des bâtiments de la ville, il s’est effondré. Ils ont tout perdu
Il lui reste des photos prises avant la guerre avec son premier appareil numérique et son téléphone portable, des photos qu’il a sauvegardées dans des dossiers éparpillés sur le disque dur de son ordinateur. Il y a le voyage scolaire à Palmyre, les vacances au bord de la mer à Lattaquié, les virées avec sa première voiture, le voyage entre potes dans le nord du pays, les impacts de balles sur la carrosserie après les premières manifestations, le barbecue près de la rivière alors qu’il est déjà recherché par les services de sécurité. Je lui demande ce que sont devenus ses amis. Sur une photo de groupe, il pointe du doigt ceux qui ont été arrêtés, ceux qui sont sortis de prison et ceux qui y sont encore, ceux qui ont disparu et ceux qui sont morts.