Juliette (2019-2022)

Photos

Pendant plusieurs années, j’ai passé mes étés sur une petite île bretonne. Juliette était ma voisine. Au début plutôt distante, elle s’est approchée de moi quand elle a découvert que j’étais photographe. J’ai appris plus tard que son père, disparu depuis peu, l’avait beaucoup prise en photo dans son enfance et qu’elle adorait ça.

Juliette voulait que je la photographie. Tous les matins, à l’heure du petit déjeuner, Juliette apparaissait, s’installait à côté de moi et attendait que la séance de pose commence. Je repliais le séchoir à linge et poussais les meubles pour improviser un studio dans la petite véranda construite de bric et de broc à l’avant de la maison que j’occupais. Parfois, j’utilisais l’espace disponible devant le mur peint en rouge de la maison du voisin et me servais au besoin d’un parasol pour atténuer la lumière du soleil. Les séances de prises de vues, plus ou moins longues, plus ou moins intenses selon les jours et nos humeurs sont devenues, au fil du temps, notre rituel quotidien.

Devant l’objectif, Juliette se révéla une actrice née tant elle aime jouer, se déguiser et prendre la pose. Je me laissai séduire par ce modèle facétieux et sa pantomime si particulière. Personnage tragi-comique, Juliette déploie à l’image des « têtes de caractère » sculptées par Messerschmidt une expressivité sans fard. Juliette m’amuse et m’étonne, elle me fait rire, elle m’agace aussi quand elle en fait trop. Et lorsqu’elle se replie en elle-même avec son regard de vieux sage, elle me bouleverse. Juliette m’émeut.